Danses modernes
Les tambours roulent leurs sons, leurs
couleurs flottent dans l'air. Les tentures
tremblent, les écharpes s'amusent.
Le saxophone lance ses ululements graves,
le batteur change de rythme. Une femme a
perdu ses chaussures. Des mains chercheuses
s'enivrent de chair moite, se gorgent de
chaleurs exotiques. Les pieds battent le
sol, frétillent, ralentissent, se traînent. Ils
s'arrêtent, puis repartent, se lançant dans
des parties frénatiques de claquettes. Des
frottements voluptueux, des pourparlers
muets, strictement épidermiques, soudent
et ressoudent ces corps mâles et femelles,
serrés l'un contre l'autre pour quelques
minutes seulement, mais jusqu'aux dernières
possibilités du toucher charnel considéré
comme encore décent. Les visages sont
marqués par une rêverie triste s'adressant au
Néant.
Le saxalto module ses hurlements, le piston
tient une note prolongée, la voix aiguë de la
clarinette couvre momentanément celle de la contrebasse.
Le batteur entame un rythme inédit ; des
contrées lointaines, l'exotisme des tropiques
un horizon sans failles, l'Aventure, l'Espace
Libre tourbillonent au gré de ses bras
gesticulants, se dessinent dans ses grimaces,
prestidigitateurs, virevoltent avec ses
baguettes magiques. Des badauds encerclent
l'orchestre, ils rient à gorge déployée. Le
clarinettiste fait le singe.
Dans un coin sombre, des boxeurs
professionnels s'apprêtent à se lancer dans
une bagarre de routine, pour le plaisir de
taper, de cogner, de frapper, de tuméfier
le visage d'autrui. Ils enlèvent leurs vestes,
sans dire mot, sans se presser, mesurant leur
involontaire adversaire du coin de l'oeil.
La batterie roule ses sons, les corps s'attirent.
Dans la pensée de certainss Messieurs la nuit
prend une forme fixe et serpente sa masse
vers un lit moelleux. Quelque part, un bruit
de baisers se fait entendre. Dans un recoin
obscur de la cage d'escalier, deux copains
caressent les seins d'une même fille. Elle ne
s'est pas encore décidée.
Les danses d'un style inconvenant, aux
attouchements ambigus, font leur apparition
dans les rangs du public. C'est le bal
annuel des étudiants de l'Ecole des Langues
Euphoriques. La salle est crasseuse, le prix
d'entrée modique, adapté à la bourse des
fadas de tous poils et de toute Faculté.
Ailleurs, dans les cabarets de première classe,
les sens se délassent derrière le rampart
d'habits élégants. Le Plaisir se dandine sur
des talons aiguilles. Des silhouettes de qualité
sont autorisées à exposer leurs avantages,
gentiment, sans histoires. Les garçons ne
trottent pas, mais filent en souplesse en
desservant les tables. Le piston joue en
sourdine. Le monde peut méditer sous des
lumières tamisées.
Argent, dollars, devises. Femmes, belles
femmes partout.
Soirée de week-end en République Populaire
de Marmarablanka.
Laszlo Mindszenti